Temps suspendu 400

Il est des voyages qui ne se racontent pas en cartes postales, des périples qui ne se calculent pas en kilomètres. L’aventure des Hurlements d’Léo s’accommode mal de dates, chiffres et statistiques : dix ans d’existence, quatre albums studio, deux disques en collectif avec les Ogres de Barback (« Un air, deux familles>) et les 17 Hippies (« Hardcore Trobadors »), des tournées de globe-trotters, l’Afrique, l’Australie, l’Europe de l’Est, le Japon, la Russie, le Moyen-Orient… Rien à faire. Les Hurlements d’Léo, ce n’est pas juste une histoire : c’est une aventure.

Cette année, HDL chahute son monde intérieur, brûle ses carcans et se montre peut-être plus vrai que jamais. Au sortir d’un long break fin 2004, sorte de post-partum d’après une tournée épique (dont témoigne un disque live), les Hurlements ont rallumé la mèche d’un projet d’album. Chacun étant arrivé avec l’ambition d’affirmer ses idées et ses envies, le pique-nique musical a vite pris la tournure d’un festin artistique foisonnant d’intentions et d’inventions. Tous les musiciens de la troupe ont su mettre leur sensibilité au service des propositions des autres, glorifiant ainsi l’idée de partage et de réciprocité. Et plus que jamais, les partis pris ont été ainsi magnifiés, jamais noyés dans le bouillon d’un mélange.

Avec « Temps suspendu », les Hurlements d’Léo ont parfois baisséle tempo mais jamais la garde : comme pour faire la nique aux poseurs d’étiquettes, le groupe impose la variété de ses couleurs musicales comme un genre à part, unique. Réunis dans un studio planqué dans la campagne bordelaise, les Hurlements ont fait éclore treize nouvelles chansons, enregistrées par Reptile (producteur de Sergent Garcia, des Ludwig Von 88, du premier Suprême NTM et d’Assassin …). « Pour la première fois, on a construit des morceaux sans se demander comment on pourrait les jouer sur scène » confiait alors un des membres du groupe. Cela s’entend et tout le monde y gagne : de « L’addiction » à « Fleurs du temps », les Hurlements se lâchent et donnent à leur musique un relief nouveau.

Même dans ses moments d’accalmie, l’énergie y est plus rock que jamais, plus pertinente, les convictions musicales plus assumées. « I’m a freak » déroule une fresque sonore à la belle arrogance ; « Mon spectacle débile » déborde d’une puissance et d’une rage qui promettent d’en faire un moment de bravoure des concerts à venir. Les cuivres, qui marquent de leur sceau la plupart des chansons, transcendent leurs fonctions attendues pour s’inventer de plus vastes horizons. Quand les guitares montrent les dents, c’est avec un mordant inédit (« Vipères au poing »). Et quand l’intimité se fait, elle se drape d’une dignité et d’une maturité qui forcent le respect.

Ponctuellement soutenus par les voix de Romain Humeau (Eiffel), Kiki Sauer (17 Hippies) ou de Perrine Fifadji (ASPO), les textes délaissent les portraits du début pour devenir le déversoir de la poésie d’Erwan et Kebous, plus évocatrice qu’explicite.

Ouvrez grands vos cœurs et vos oreilles ; les Hurlements sont de retour, avec leur album le plus abouti, le plus riche, celui qui leur ressemble le plus. Les hauts d’Léo, en somme.
Leonard Zelig

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