Chanter Solo. A huit. Hurler sa rage, porter son énergie rock, distiller sa poésie héritée des plus grands auteurs français. Cela ne pouvait qu'être eux. Les Hurlements d'Léo s'attaquent à Mano, en petits frères de la même trempe. Celle qui noue le ventre et illumine les rires. Celle qui rend la vie plus intense. Celle qui ne se résigne pas à voir les fascismes en tous genres ramper dans les cerveaux d'une France malade de ses peurs. Celle dont les colères se chantent haut et fort.
Depuis 1998, les Bordelais sont des aventuriers artistiques. Les parcours fléchés ne sont pas pour eux. En une dizaine d'albums, du « Café des jours heureux » au « Bordel de luxe », les Hurlements d'Léo ont brandi l'esprit de la révolte et de la rencontre au fil des scènes communes, des idées partagées, des proches humanités. Avec les Ogres de Barback pour « Un air, deux familles », avec Les Fils de Teuhpu pour « Camping de luxe » : des bouts de chemin sont faits avec ces troupessœurs au mépris d'une quelconque démarche carriériste. Alors quand une nouvelle pause se dessine au sein de ce groupe aussi souple que solide, un nouveau projet pousse. L'idée de l'un des Hurlements devient l'enthousiasme de tous : saluer celui qui les a tous influencés, qui a fait quelque part ce qu'ont été les Hurlements depuis dix-sept ans. Un groupe en éveil, sur la route, fronde à la main. Ce gars-là, c'est Mano Solo. Projet : un spectacle pour faire revivre ses chansons jamais reprises, brûlots de vie cabossée, de lucidité rageuse. Parce qu'il est inconcevable d'y aller sans leur aval artistique, Laurent Kebous et la bande font le tour des gardiens du temple laïc de l'écorché disparu en janvier 2010. Fatiha Bendahmane d'abord, manageuse indéfectible d'un Solo pas toujours facile à suivre. Celui de Napo Romero, le guitariste des Gutter Rats, des Chihuahuas et des Frères Misère, les trois groupes qu'emmènera l'artiste en marge des disques en son nom. Celui du peintre Fred Kleinberg avec qui Mano a vécu et travaillé lors de sa période toulousaine. Non seulement ils sont emballés mais ils font mieux : les trois seront de la tournée qui commence en mai 2014. Fatiha au merchandising, Kleinberg à la scénographie (toiles géantes, vidéos) et Napo sur scène avec les Hurlements d'Léo. Une quarantaine de dates ont déjà prouvé la belle pertinence de l'ensemble. Le voyage dans l'univers de Mano est luxuriant, les reliefs y sont escarpés, la force des mots choyée, la rage décuplée, l'émotion sans facilité.
Les Hurlements ne pouvant penser que collectif, l'idée d'enregistrer les chansons avec des invités fait rapidement son chemin. Rassembler les frangins et frangines de route et d'esprit autour d'une vingtaine de titres. Au fil de l'hiver, Mathieu Nappez attend les visiteurs d'un soir ou d'une journée dans le studio Alhambra Colbert de Rochefort-sur-mer. Une vingtaine d'artistes vient chanter Solo à leur manière, emmenant Mano chez eux sans jamais le travestir. De toutes façons, impossible de faire rentrer ses chansons là où elles ne veulent pas aller. Sur des cuivres délicats, Nilda Fernandez apporte une belle sensualité à « Allo Paris », la grande Francesca Solleville porte « Le monde entier » avec une tremblante intensité. Romain Humeau (Eiffel) dépose « Le limon » avec une grâce touchante. Ne pas se fier à leur ragga lent aux senteurs d'orient : les Toulousains de Zebda regardent « Les habitants du feu rouge » avec la même fraternité déchirée. Et déchirante. La copine Mell (« Y'a maldonne »), l'incandescente Melissmell (« La rouille »), le compagnon de route bordelais Bertrand Cantat (« Allez viens »), les potes des Ogres de Barback (« Sacré cœur »), les copains de Debout sur le zinc (« Une image ») et les autres... Derrière chacun dans le studio, les Hurlements épaulés de Napo Romero toujours, assurent une toile de fond à la couleur musicale commune donnant aussi au disque sa cohérence dans sa diversité. Le combo assure même tout seul comme un grand huit chansons, reflet de la tournée qui se poursuit toujours. Comme sur scène, les voix des Hurlements se relaient, de « La lune » par Kebous, « Trop de silence » par R1 ou « La liberté » par Julien Arthus. Et le générique de cet hommage à Mano, de la tribu de Mano, reflète une certaine idée de la chanson francophone des quarante dernières années : rebelle et joyeuse, orchestrale et intime.
Ensemble en Solo.
Automne 2013. Fin de tournée pour les Hurlements. Fidèle à ses habitudes de solidarité mais aussi d’indépendance, chacun des huit musiciens va s’en aller vers projets plus personnels durant cette pause, habituelle pour le groupe de punk-caravaning français. L’un d’eux, Laurent Kebous, confie son envie de reprendre Mano Solo, référence incontournable pour plusieurs membres du combo bordelais.
En quelques minutes, le projet individuel redevient collectif. Condition sine qua non : rendre hommage au lascar avec dignité, énergie et l’aval moral de ses compagnons artistiques. Fatiha Bendhamane la manageuse historique, Fred Kleinberg le peintre-ami au temps des premières chansons ou encore Napo Romero, le pote de galère et guitariste des années sombres et lumineuses du succès. Mano peut hurler à nouveau.
Des premières résidences de création où Napo intègre la bande à une tournée de près de 120 concerts en passant par un premier disque où une vingtaine d’invités (Zebda, Solleville, la Ruda, les Ogres de Barback, Bertrand Cantat…) viennent reprendre Mano Solo avec le groupe, ce livre retrace deux ans et demi d’aventures, de rencontres autour d’une création peu commune. Ponctué des témoignages de tous les acteurs du projet, il dessine en creux le portrait d’un artiste hors du commun, au constat toujours d’actualité, à la poésie populaire intemporelle.
Un livre voulu par le groupe pour garder une trace de cette aventure hors-normes. Illustré par le somptueux noir-et-blanc d’étonnants clichés au collodion, « Les Hurlements d’Léo chantent Mano Solo » vous emmènent sur les routes d’un salut pas comme les autres à l’une des plus grandes figures de la chanson. Un ouvrage nanti d’un CD live du spectacle où l’on peut goûter de Mano les versions vitaminées et (sur)prenantes des Hurlements d’Léo.
Photos : Pierre Wetzel
Textes : Yannick Delneste
Pierre Wetzel est photographe indépendant, très demandé dans le milieu musical. Depuis deux ans, il travaille le procédé du collodion, technique historique de prises de vue avec soufflet et plaques de verre.
Yannick Delneste est journaliste au quotidien « Sud Ouest », y suivant entre autres l’actualité de la chanson francophone.